Cher Stéphane,
Ton départ me laisse sans voix. En apprenant la nouvelle, j’ai cru à une des facéties dont tu étais coutumier, un coup de théâtre de plus dans ta vie tumultueuse, une mauvaise blague du clown sombre que tu pouvais être parfois.
Seize ans qu’on s’était rencontrés à la rédaction de feu Allô. Tu fumais déjà beaucoup. Tu n’avais pas un seul cheveu blanc. Mais déjà une étincelle d’humour prête à tout incendier, une curiosité insatiable, une soif d’apprendre, et, en même temps, un côté bien élevé, une pudeur de fils de famille, qui te permettait d’être à l’aise avec tout le monde sur l’échelle sociale. A l’époque, déjà, tu avais le goût de dégoter les informations insolites, poil à gratter, les grains de sable dans les machines bien huilées. Appuyer là où ça fait mal dans le système. Peut-être à cause d’une souffrance au fond de toi qui n’aura jamais trouvé d’anti-douleurs assez puissants.
Cette prédisposition n’a fait que s’accentuer par la suite. Pour toi, être journaliste signifiait davantage que relayer les communiqués de presse : enquêter, fouiller, découvrir les vérités cachées, surtout si elles dérangent. J’ai accompagné, encouragé tes premiers papiers, comme un grand frère. Je me souviens de ton humilité face à la page blanche, liée à une seule exigence, celle de ne pas te décevoir. L’aventure Allô, avec ses bouclages nocturnes et arrosés, nous a soudés.
Nous nous sommes revus à Gennevilliers, dix ans après, à la faveur d’un projet artistique de ton ami Didier Paquignon, auquel tu m’avais invité à participer. Avec les années, tu étais devenu encore plus écorché, plus incisif, comme si tu demandais encore plus à la vie, à ta vie. Tu ne tenais pas en place : chaque fois qu’on se parlait, il fallait que tu m’entraînes dans une marche rapide, un marathon de la pensée. Pour tenir debout dans l’existence, tout est question d’équilibre. Grâce à tes chroniques sur France Inter, tu avais trouvé le tien. Le média idéal pour exprimer les idées qui bouillonnaient dans ton esprit. Ce flux d’énergie difficile à canaliser qui pouvait à tout moment se retourner contre toi.
Certains, quand ils prennent de vos nouvelles, le font machinalement. Toi, tu avais le don de percer l’Autre, de le voir au fond des tripes. Avec ton regard noir au laser, tu instaurais immédiatement un rapport profond, décapant. Tu avais le don inné de l’amitié. Un don rare dont tu abusais avec un plaisir non dissimulé, auquel on ne pouvait que succomber.
Tu n’aimais pas la tiédeur. J’ignorais que tu avais à ce point le sens du tragique. Je n’ai jamais vu tes enfants, Ninon et Gaspard, dont tu me parlais avec des paillettes dans les yeux. Mais je sais combien d’amour ils ont reçu de toi. Combien cet amour va les nourrir et les aider à grandir auprès de Marie, leur maman, dans les années qui viennent.
Aujourd’hui, je me raccroche à une seule idée : la chance de t’avoir rencontré. La chance d’avoir croisé ta route quelques années. Seize ans, c’est déjà beaucoup. Merci, Stéphane, d’avoir éveillé le monde à ta fantaisie, tes emballements, tes indignations. Merci d’avoir donné à ceux que tu as connus ton sourire inquiet, ta fougue et ta bienveillance. Pourvu que la quête de vérité qui te faisait courir se propage en nous et ne s’arrête jamais…